boites aux lettres
« L'abandonnée »

BOîTES AUX LETTRES

BOîTES A L’ÊTRE

Photographies de Colette CERDAN

Textes de Jean-Claude GIRAUDON



L'abandonnée

(Comme une chanson)

Le corps rouillé

Volet fermé

Nom arraché

Reste une clef

et son anneau

quatre trous et

un numéro

presque effacé

Mais t'attends qui ?

T'attends qui-quoi ?

Le Prince Charmant ?

La Fille au Roi ?

Voilà déjà

quelques lurettes

qu'ils s'écrivent

leurs amourettes

qu'ils s'envoient au

Septième ciel

par alphabet

immatériel !

Boîte aux lettres

fonds-toi donc en

ton vert feuillage

Aucun courrier ?

Aucun regret.

Change ta voie

Change ta vie

Change d'émois

Change d'envies

Vite ouvre-toi

Et te dépêtre

ô Boîte, à l'être !

 




La jaune

Anonyme

Postée pour épier

Petite boîte carrée

- vif œil jaune -

dissimulée dans

ton vert et gris feuillage

Camouflée, numérotée.

Et toujours fidèle aux Postes !

Mais décidément

trop jaunette

pour être honnête

Leurre, boîte à malice

que Nature t'ensevelisse

Vite !

Te submerge ! T'efface !

Qu'à jamais

vite, vite !

on perde ta trace !






Soleils sous le vent

(Aux « soleils » de tous les pays)

 

Soleils

ballotés des vents

sous ce ciel si gris

Soleils

murissant infatigablement

nos futures graines

les gonflant de suc et de sève

tout en rêvant parfois

- mais c'est bien normal et nous le comprenons -

tout en rêvant parfois de vos lointains pays

Pour lutter - eh ! qui sait ?-

contre la nostalgie peut-être

qui ne donne guère de cœur à l'ouvrage

voici deux Boîtes aux lettres

car vous êtes tant et si nombreux maintenant

deux Boîtes pimpantes et vertes

rien que pour vous, Soleils.

« N'est-ce-t'il pas gentil ? »

comme vous dîtes si joliment

Soleils rêvant de vos si lointains pays.

D'où cependant néanmoins pourtant

personne, c'est à craindre malgré tout

et bien surtout malgré nous

personne au grand jamais

n'écrira à ces gens-là.






 

Le gueuloir à lettres

Les Z'Huns

ayant le téléphone à fil

nous, Z'Autres

nous demandâmes, avec déférence,

un « gueuloir » pour communiquer

Une espèce de sorte de truc

de Boîte aux lettres, mais vocale

Vous voyez ?

Histoire d'avoir moyen

à parler nos histoires à nous

à causer choses d'ici - là-bas

à bavarder la rigolade

ou à rouscailler un chouïa

et puis palabrer pour de bon « soleil »

assis par terre, au clair de lune

Aussi, pour chanter les chants du pays

pour s'égailler en chantant

et pour échanger nos chants

en gosillant de champs à champs

s'enchantant de nos plus beaux chants.

Vous voyez ?

Eh bien, nous l'obtînmes !

Et joli ma foi

comme tuyau du poêle peint en bleu

mais fixé dans l'herbe, là-bas !

ça fait beaucoup trop éloigné

On va devoir déposer requête

Avec déférence.






 

Les bourlingueurs

 

(Ils chantent en duo, se regardant la photographie)

Lui : J'ai guèr' plus qu'un œil à présent.

Question accident

après un coup d'sang.

Mais rapport au « dehors-dedans »

j'y verrais plutôt mieux qu'avant.

Elle : Question mirett's, rien d'attrayant :

un coquard en flamme !

Comme un pain à l'âme.

Mais j'y vois presqu'autant qu'avant.

Voir' mêm' un peu plus transparent.

Lui : Y faut sourir' pour la photo

ou fair' semblant,

O.K. j'fais l'beau.

J'suis pas méchant,

fait's gaff' quand même

j'ai tout's mes dents.

Elle : Ce jour-là c'était pas la fête.

J'faisais la tête

l'sourir' en bas .

Un peu coquett'

quand mêm' avec

mon bandana.

(parlé )

Lui : Dis donc, j'm'étais rasé d'frais.

Elle : Moi non, j'avais pas fait d'frais.

(Chanté )

Parfois un camion nous emmène

Une péniche sur la Seine

Un cargo à quai nous embarque

Le Gulf Stream nous renvoie aux Parques

On distribue, c'est pas banal

du courrier international

apporté durant nos périples

par des parents, amis multiples

Déposé à titre de lettres

dans nos boît's qui ont bourlingué

Etranges missiv's à transmettre

aux « Soleils » qui ont émigré.

Petits bouts d’papier griffonnés

pour dir' que ça va la santé

Articl's de journaux découpés

avec des phrases soulignées

Page arrachée d'un vieux cahier

gribouillée, raturée, timbrée

Bordé de noir, un vieux faire-part

qu'arrive avec deux ans d'retard

Factur's signées et tamponnées

dûment visées, ré-expédiées

Mouchoir au doux prénom brodé

signé d'une empreinte au henné

Un « je t'aime » au dos d'un' photo

qui donne à voir une moto

Sur une feuille à tout usage

une promesse de voyage

« Papa » sur un éclat d'ardoise

entouré d'un cœur maladroit

On y trouve de tout vraiment

dans ce courrier pour les migrants

Des rir's et des problèm's d'argent

Des pleurs et des baisers d'enfants

De l'amour pour l'amour absent

De l'espoir pour l'amour migrant.






Mise en abyme

 

Hum... !

Charmes

de la propriété

à fil rouillé

de barbelé.

Hum... !

Maisonnette - Boîte aux lettres

carmin

pour proprios - nains de jardin.






La gagnante

Eh bien ! Bravo, bravo !

Boîte aux lettres mignonette !

Bravo et chapeau !

Vingt sur vingt !

Ainsi le Jury en a décidé !

Pour votre charme

votre équilibre maîtrisé

votre charme équilibré

cette maîtrise dans les tons

se fondant organiquement

dans ce verdoyant feuillage

peuplé d'oiseaux chantant

« O ramages... dans les ramages ! »

Ah ! Ah ! Ah ! Merci...merci beaucoup.

Oiseaux chantant dans ces feuillages

tout autant équilibrés que sages.

Bravo encore ! Encore bravo !

Boîte aux lettres numéro Vingt

Vous n'avez pas concouru... en vain !

Ah ! Ah ! Ah ! Merci...merci beaucoup.

Bravo, bravo !

C'est donc vous qui l'emportez

qui emportez notre Trophée !

… Pardon ? Ah oui, oui...

Le Jury me prie de vous rappeler, pour la remise de la Médaille, dimanche prochain,

de ne pas oublier de couper cette branche cassée ou arrachée, peut-être même foudroyée...

Cette béance, dont vous n'êtes nullement responsable, bien évidemment,

cette béance déplacée serait tout à fait gênante ; voire provocante.

Pour dimanche donc, arbre disparu, ni vu ni connu.

Harmonie !

ô Harmonie ! ô Famille et Patrie !








Discours prononcé ce 14 juillet

par Monsieur Boîteauxlettres,

Chargé de fonction

en l'honneur de

Madame Sureau,

ancienne « facteur émérite »

Monsieur le Préfet de la République

Monseigneur l'Archevêque du Culte

Monsieur le Général de l'Ordre

Monsieur le Directeurdes Choses

Monsieur le Président des Services

Monsieur le Président Directeur

Général du Service des Choses de l'Ordre

Chère, très Chère Madame Sureau,

En cette journée exceptionnelle

Moi,

Brette aux Loîtes !

euh...

Bloître aux Zettes !...

… non...

Blettes aux Loir !...

...Ah ! merde!... euh...

Moi,

Boîteauxlettres!

Ah, voilà, nous y sommes !

Moi !

Boîte aux Lettres, et fier de l'être ! … … … … …

 

(Passe alors en rase motte,

couvrant totalement la voix de l'orateur,

l'Escadrille de l'Armée de l'air,

laissant dans le ciel azuréen

une trace tricolore du bel effet...)

 






Hommage aux pneumatiques

Pour mémoire

- in secula seculorum -

le courrier électronique :

 

w w . com hp ptt

a chassé le télégramme 

qui transmit tant d'états d'âme :

 

tiptipi titititi tiptip titititi tiptip tiptip tip

lequel chassa le pneumatique 

qui était pourtant si pratique :

 

Clac ! Bing ! Pfffffffffffffffffffffffffffff...Chlak ! Toc ! … bop

Cependant que

- ad vitam aeternam -

toujours modeste

prête à transmettre

s'entête et reste

la Boîte aux Lettres.






Le Central de Com.

Regarde bien, Malcom,

ici,

le savais-tu, Marion ?

c'est un Central de Com.

un Central de Communication.

Pour tous les âges, ma Marilou,

pour tous les goûts y en a,

mon Mustapha !

Pour les femmes et pour les hommes !

Y en a même pour les animaux !

Hé ! oui, mon joli Pierrot !

Pour les grands parents et les enfants,

et les rêveurs et les planants

- comme Jonathan -

pour les anges et pour les mésanges

comme toi,

Raminatanagange.

Pour tout ce qui est vivant

de type : Tintin, Nono, Binbin, Sosso...

Regardez bien.


A ma gauche :

Boîte aux lettres des plus classiques

sobre et pratique,

chic et nette

très « Marie-Antoinette ».

Au centre :

pour les animaux rampant,

courant, sautant ou volant

de Pékin à Phalempin

de la Banquise à Venise :

la p'tite maison aux rouges tuiles !

Rouges comme les pommettes d'Odile.

Pour celles et ceux qui palabrent et jouent

avec le soleil, le vent, les étoiles,

une échelle a été dressée

- serait-ce pour toi, Aglaée ? -

à travers branches et feuillages,

pour celles et ceux

qui commercent avec les nuages.

Et les poissons, grand'maman ?

Les poissons des océans ?

Ah !...

Ils n'ont pas de Boîte aux lettres.

Les poissons nagent, nagent sans cesse

par rivières, par fleuves et par mers,

passant de courants en courants.

Ils nagent, nagent

et rien jamais,

- mon doux Gervais -

non, jamais rien ne les arrête.

Sauf au printemps

les violettes

un court instant.






A la déhanchée

Apparemment te voilà seule

dedans ton Paradis terrestre,

déhanchée, sous le cognassier,

Boîte aux lettres par trop discrète,

je te contemple et pense à Eve.

Laquelle, je m'en souviens bien,

avant que d'être notre Mère

vivait au Paradis des Cieux

avec Adam, son vif amant.

Cependant que Monsieur Serpent,

ce vieux malin des premiers âges,

dormait. Dormait-il ?... Il dormait

à poings fermés ; dans les branchages !

Dormait-il ? … Il rêvait peut-être...

Mais de qui, Grands Dieux !? Mais de quoi ?!

Puisqu'en dehors de l'Univers,

du Jour, de la Nuit, des Etoiles,

d'un « avant » doublé d'un « dès lors »

rien d'intéressant n'était là.

Pas de « dasein » encor, pas : ça !

Et d'ailleurs, et surtout vraiment

mon « corps-à-moi », mon « corps-au-monde »

n'existait pas ! … Ou bien alors... ?

Oh ! non ! … Me rêvait-il déjà ?!







Les jumelles

- Ma sœur, dis-moi, sais-tu lire ?

- Non, ma sœur ; rien d'autre qu'écrire.

- Comment pratiques-tu l'écrire, si tu ne connais pas le lire ?

- Une impatience, doublée d'une joie vive, m'appelle

à regarder avec grande attention les formes

tracées sur les enveloppes du courrier.

Dans ma mémoire, ensuite, j'enregistre ces dessins de signes.

- Quand bien même, ma sœur...

Tu ignores à quels mots ces dessins de signes sont assignés ;

tout autant que la forme propre aux lettres dont les mots sont composés !?

- Ce que tu dis est vrai, ma sœur.

- Comment alors, peux-tu justifier que tu écris pour de vrai ?

- Mais par le fait, qu'à ma manière, certes, mais le plus fidèlement possible,

je reproduis ces dessins de signes couvrant l'enveloppe des courriers.

- Sans vouloir te peiner, ma sœur, ce que tu écris ainsi a-t-il un sens ?

- Aucun sens discursif, bien entendu, ma sœur. Cependant, l'ensemble signifie.

Je ne sais trop dire quoi de cohérent mais qui, néanmoins, existe.

- Et comment t'y prends-tu, pour écrire ?

- Mon ardoise est un coin de ciel, durant la nuit ; ma craie : une étoile ou l'autre.

- Si ce n'est indiscret, ma sœur, …

- … Dis.

- Qui lit tes courriers nocturnes ?

- Mais tous les Dieux, ma sœur. Et toutes les Déesses qui depuis l'aube des Temps

peuplent les cieux, l'imagination et l'angoisse des êtres humains.

- Parfois, ma sœur, répondent-ils à tes messages ?

- Sans nul doute, ma sœur. Mais comme tu le sais, hélas, je n'accède pas à la lecture.






Deux Boîtes dans les champs

Pour les petits :

Boîte aux lettres

verte.

Boîte à journaux

pour les grands

avec casquette à visière devant.

Et quand qu'c'est qu'il apporte des colis ?

Ah ! Là, le facteur frappe à la porte.

Et quand c'est qu'c'est des mandats ?

Ah ! Là, le facteur frappe toujours deux fois.

Et quand qu'c'est d'choisir l'calendrier des Postes ?

Oh ! Là, le facteur est prié d'entrer au chaud,

dans l'intimité du foyer.

On le fait asseoir,

on lui offre à boire,

on lui masse les pieds.

On évoque les grêlons et les fortes chaleurs,

les chiens qui ne cessent d'aboyer,

les courriels et les e-mails qui pervertissent le métier.. ;

… et puis un ange passe...

On remplit à nouveau son verre. Il dit : 

« Hop ! Hop ! Hop ! J'ai pas fini ma tournée ! »

Et ça y est : il sort les calendriers.

On choisit « L'Angélus » de Jean-François

Millet revu par Andy Warhol :

l'homme et la femme sont Marilyn Monroe et Fidel Castro

son long cigare au bec

mais la casquette à la main.

L'un et l'autre baissent la tête avec componction.

Dame ! Ils prieront jusqu'à l'an prochain.






 

Sapristi !

Mais, tu boites !

Tu boites, Boîte aux lettres !?

Tu boites et tu bois, ma parole !

Tu jajates et tu picoles !

Tant et tant que sur ta patte unique

tu ramolles, tu fléchis et tu flageoles !

De quoi, de quoi ?!

Il te faut cinq bâtons-servants

pour t'éviter de tituber ?!

T'empêcher de trébucher

piquant du nez dans la folle avoine,

en t'écroulant d'ahan ?!

Mais d'où te vient cet abattement ?

Quelle en est la cause et pourquoi ?

A qui la faute ? Auxquels desquels et comment ?

Et comment, oui vraiment, comment as-tu pu en arriver là ?

Tu tournes le dos aux Soleils,

alors qu'ils n'ont d'yeux que pour toi.

Visage presque inquiet

en silence

ils t'observent

étonnés.

Car, ostensiblement carrément, tu leur tournes le dos.

Allez, allez, soyons franc : tu t'esbignes !

Sans rien dire, regard fermé, tu mets les bouts en loucedé.

Serait-ce à juger ta présence inutile ?

Car il est vrai, qu'aucun courrier jamais

- pas une carte, une lettre, un billet -

n'est arrivé jusqu'ici, ni jamais n'y arrivera.

Penserais-tu :

« Je suis là pour la parade, pour la gonfle et le mensonge.

Rien moins que pour l'apparat. »

En ton âme et conscience alors, tu aurais décidé de ne plus cautionner ?

De quitter ce lieu... ? C'est ça ?

Non pas fausser compagnie, te calter, t'enfuir, mais

ROMPRE.

Boîte aux lettres

ma pensée t'accompagne

et mon respect

« Boite à l'âme ».






Ceci est une fenêtre

(Pour Colette C.)

Ceci est une fenêtre,

avec un encadrement et un unique volet en bois ; l'ensemble, marron foncé, sombre, délavé, plus ou moins écaillé.

Au centre, une grille composée de motifs losangés, en fer, et de petits cercles de cuivre ouvrés.

Derrière cette grille, la vitre de la fenêtre, sertie dans un double cadre en plastique blanc.

A l'opposé du volet ouvert, une Boîte aux lettres de couleur crème, encastrée, partie dans le mur blanc et partie dans l'un des montants de l'encadrement.

Tant et si bien que le regard du Passant blasé, passant à pas pressés devant cette surface

apparemment plate, n'y décèle rien d'autre qu'une habile peinture en trompe l'œil.

Double leurre, pour cet homme au pas pressé, passant, blasé, à côté de la vérité.

Car, c'est un castelet.

Chaque jour, à une heure convenue, on s'assemble là, en demi-cercle, pour voir les marionnettes.

Sept coups précipités sont suivis de trois coups frappés et, dans le silence, avec lenteur, de cour à jardin, s'ouvre le volet.

Puis la grille s'élève majestueusement jusqu'à l'horizontale tandis que la fenêtre glisse, on ne sait comment, et qu'apparaît … (quelle que soit la pièce jouée, le premier décor est invariablement le même) … tandis qu'apparaît, constellée d'étoiles, une nuit noire franchie par une comète, cependant que la lune, toute ronde et brillante et dorée, traverse, impavide, l'immensité du ciel.

D'un ciel qui blanchit petit à petit, éveillant le chant du coq, lequel annonce l'aurore au doigt de rose qui soudain envahit l'espace.

Alors, le poète entre en scène, et toujours, ce poète est Homère.

Homère qui, faisant office de « rideau brechtien », présente aux spectateurs, très brièvement, l'histoire à laquelle ils vont assister. Le répertoire de ce théâtre de marionnettes compte cent quarante quatre pièces. De toutes les époques ; d'origines diverses ; de styles différents.

développe une ou plusieurs situations d'échanges de lettres, ou d'épîtres, ou de missives, ou de messages, voire même d'un simple billet plié en quatre, pourvu qu'ils soient transmis par l'intermédiaire de la Boîte aux lettres, lieu des secrets, par excellence.

Et encore ceci qui est immuable :

durant la dernière scène du dernier acte, la porte de la Boîte aux lettres s'ouvre.

On voit sortir de cette fragile béance, avec lenteur, l'objectif d'un appareil photographique à soufflet.

Au même instant, une silhouette apparaît dans l'encadrement de la fenêtre. «  C'est Homère ! » murmurent les spectateurs les plus avertis. Homère, certes,… mais en chair et en os cette fois. Eclairé de dos, on ne distingue pas son visage. Il appuie sur une petite poire en caoutchouc,

ce qui déclenche un faible clic-clac, et la photo est prise !

L'objectif se rétracte aussitôt, rentre dans la Boîte aux lettres dont la porte, avant de se refermer, laisse échapper une compagnie d'oies sauvages qui volent en cercle au dessus des spectateurs avant de s'éloigner à tire d'aile en direction du grand sud.

Alors, Homère se retourne et nous quitte.

Surpris, les spectateurs découvrent soudain, que cette silhouette est celle d'une femme.






Promeneur éveillé

vif Arpenteur du monde

« Caminante »

traversant le pays sous un soleil ardent

moi, arbre parmi les arbres de la nature

je t'offre un instant de repos dans la fraîcheur de mon ombre.

Bourlingueur averti

des us et coutumes de tes semblables

ma Boîte aux lettres probablement te fait sourire :

point de maisons, pas une ferme, nul habitat à l'horizon !?

Quel facteur pousserait la conscience professionnelle

sinon, la désinvolture, jusqu'à y déposer

quelque improbable courrier pour un destinataire inexistant ?

« Et pourtant, nous dirait le très sage Issa et pourtant… »

Tu es ce destinataire, Voyageur

inventant ton chemin

lequel par hasard croise ce lieu où je tiens racine.

« Caminante » ouvre la porte de la Boîte et plonge la main :

un courrier t'y attend.

Prends-le, lis-le

et fais-en ce que bon te semble.

Froisse, déchire, ou bien lis à nouveau peut-être...

Mais surtout, avant de reprendre la route

n'oublie pas d'écrire à ton tour, pour qui viendra après toi.

Demain, ce soir, dans une semaine, une année

ou dans un court instant

une autre personne trouvera ta lettre.

Il la lira.

La froissera ? La déchirera ?

La relira peut-être...

Reprendra son chemin

emportant tes mots dans ses pas.






 

« Sur la Boîte, plus de nom

Et ma lettre est sans adresse

Des fleurs devant la maison

Les chats semblent en détresse

Le temps a perdu saisons »

(Pour mon ami, Lucas T. )

En haut les manières

En bas la matière

Au fond l'horizon

Rongé de poussière

Le vent geint derrière

Fragile raison

Où ont fui les lunaisons

Pas une ombre sous les pierres

Aucun la au diapason

La neige sous les paupières

Le temps a perdu saisons

Où sont les bestiaires

A truites fruitières

Riant à foison

Où les écuyères

Tabac tabatière

Juchées sur bisons

Où sont les exhalaisons

Nul feu dans les pépinières

Nul or aux péroraisons

Nul cœur dans les montgolfières

Le temps a perdu saisons

Tout près la carrière

Gît dans la rizière

Percluse de gazon

L'eau de la rivière

Saignée par les lierres

Pourrit de frissons

Où ont fui les floraisons

Plus d'essaim au cimetière

Aucun drap dans les maisons

Nul écho dans les charnières

Le temps a perdu saisons

Où sont les crinières

A roses trémières

Ardentes raisons

Où les batelières

Printemps printanières

extirpant poisons

Où l'odeur des fenaisons

Plus de sel sur la bruyère

Plus de rire sous la toison

Plus d'étoile buissonnière

Le temps a perdu saisons

Au loin la tourbière

Dessous la lumière

Fripant un frison

Plus près la frontière

Qu'entoure une ornière

Où fane un tison

Où ont fui les frondaisons

L'arc-en-ciel sous la verrière

Rien que de sable au blason

Des ciseaux dans la volière

Le temps a perdu saisons






Dialogue matinal

(Derrière la grille verte, le chien chantonne pour lui-même, attendant le passage du facteur.)

 

Qu'attends-je

D'étrange

A la grille

Où je frétille

Que m'arrive

Une missive

Qu'aventure

D'écriture

Me trouve enfin

De bon matin.

LABOITE : Et voilà qu'il chante maintenant !

LECHIEN : Ouaf ! Ouaf !

LABOITE : On est bien gai matinal !?

LECHIEN : Ouuuaaaf ! Ouafafafaf !

LABOITE : Se serait-on vécu un rêve d'enfer ?

LECHIEN : Voûoûoûâââââââf ...!

LABOITE : Vieux veinard de dormeur rêveur ! Dire que pour moi y a jamais pas rien!

LECHIEN : Te l'ai déjà dit, LABOITE : tu peux rêver tout du long du jour et tout éveillée.

LABOITE : Un rêve éveillé ? Une banale songerie ! Pas même aucun intérêt.

LECHIEN : Alors t'ai déjà dit, LABOITE, prends-y somnifères !

LABOITE : T'ai déjà dit, LECHIEN, la règle d'or d'une Boîte aux lettres c'est : « Jamais ne dort !» C'est l'un de nos fondamentaux ! On ne revient pas là dessus ! O.K. ?!

LECHIEN : Voif. Voif.

LABOITE : Le prends pas à mal, LECHIEN. Fais pas l'oreille basse. C'était rien plus qu'une énervette.

LECHIEN : Voif... ? (un temps ) Vouaf Vouaf !

LABOITE : Tu me le raconterais ton rêve de sommeil nocturne ?

LECHIEN : Ou – ! Alors j'étais... enfin le début... Bon. Alors ils m'avaient emmené dans un manège de foire. Tu sais de quoi il retourne question « Foire aux manèges de foire » ?

LABOITE : Tu parles-Charles !

LECHIEN : Alors on est dans manège qu'on appelle « Grande Roue », comme... comme...

LABOITE : Ouais, ouais, comme roue de vélo ?...

LECHIEN : Vouaf... Mais, vélo Tour Eiffel ! Donc y avait moi, les deux enfants et les maîtres. On était tous assis dans la nacelle qu'elle arrête pas de chavirer tous les sens.

LABOITE : Nacelle ?... C'est comme qui dirait :

« Chaloupe en perdition sur l'océan furieux »

« Quand la foudre et l'éclair roulent du fond des cieux. » ?

LECHIEN : Vououou...af... vouaf !

Alors, comme on commence à monter en balançant, tout en face de l'autre côté, qu'est-ce que j'aperçois ? Une très très mignonne de chienne toute blanche à l'œil noisette. Je lui jappe un peu pour voir si... Elle fait sa fière. Daigne pas même de tourner la tête. Mais tout de même, elle se dresse les oreilles. Je re-vouafe un ou deux petits vouafs. Toujours elle bouge pas la tête, mais elle redresse joli sa queue. Après je vois plus rien parce que pendant qu'elle se dégringole, je monte. Et c'est défense obligatoire de faut pas se pencher. Dès que la roue part à redescendre, je me penche un poil et je jappe trois petits coups. Pas de réponse ! Je regarde d'un petit bon pour voir à savoir où c'est qu' elle en est question émotif. Ben, elle est plus là ! Sa nacelle, elle remonte à vide pendant que la mienne... Après, je me suis réveillé dans ma niche, il faisait même pas encore jour... Vouaf... Vouaf...

LABOITE : Alors là ! Alors là ! C'est du rêve qui mérite d'être rêvé ! Ah! Oui, oui. Non !?

LECHIEN : Si ! J'en garde encore toute l'odeur de son image.

LABOITE : Je voudrais peut-être d'avoir rêvé un tel rêve ! Ne serait-ce que rien qu'une fois !

LECHIEN : Tu vois : c'est comme si tu vis ta vie pour de vrai, mais quand tu te réveilles, elle s'échappe. Comme si t'avais une fumée entre les doigts.

LABOITE : Fumée ? Je connais ! Une fois, on m'a jeté un pétard allumé dans la caisse. Quand il a explosé, y a eu un bruit terrible. Après j'étais tout enfumée, à vomir tellement c'était âcre. J'avais mal partout ; j'avais peur de tout. Pourtant, parfois je la revois la petite flamme brillante. Qui grésillait en brûlant la mèche, avant l'explosion. J'étais émerveillée ; j'avais l'impression de vivre comme à côté de moi, mais pour de vrai. Du coup, je me dis qu'un rêve, peut-être il doit ressembler à ça.

LECHIEN : Vouaf... Vouaf...






 

La délaissée

Tu marches. Empruntant cette route

tu viens de franchir les marais

La solitude t'ouvre au doute

Souvent tu te perds en forêt

Tu me croises, mais ton regard

déjà s'évade loin de là

Tu sembles avancer au hasard

laissant libre cours à tes pas

Puis, tu t'arrêtes. Te retournes

reviens, me scrutes, me contournes...

Tu dis : « ça ! Une Boîte aux lettres

« clouée sur la souche d'un hêtre !?

« Elle penche et n'a plus de porte

« Aucun courrier d'aucune sorte

« de longtemps n'y fut déposé. »

Alors, dans l'herbe, agenouillé

tu te penches face à mon antre.

Avec la voix douce d'un chantre

tu questionnes comme un enfant :

«  Terre, belle Terre, où es-tu ? »

- « Je m'offre à tes pieds. T'attendant. »

« Terre, Terre, que tisses-tu ? »

- « Un tapis qui reçoit ton ombre.

« Un sablier chargé de nombres. »

«Dis, Terre, m'aimes-tu ? Dis-moi. »

- «  Marche, marcheur. Chemine-toi. »

Tu remets ton sac à l'épaule

D'un air détaché tu fredonnes

En me quittant ta main me frôle

Comme une perdrix je frissonne.






 

Voilà longtemps déjà

qu'avec un certain nombre de mes semblables, je fus, jour après jour, année après année, Boîte aux lettres installée en plein milieu rural.

Ma fonction étant d'être

« Agent de transmission » entre au moins deux humains, plus ou moins éloignés, curieux ou complices, amis peut-être, peut-être amoureux fous, délirants et superbes, s'adressant des poèmes sur papier parfumé ; ou bien... ou bien fâchés, courroucés, ulcérés, haineux, s'injuriant sans merci, s'outrageant, s'insultant par le biais de lettres recommandées, timbrées, exigeant accusés de réception signés ! Ceci sans oublier tous les courriers d'affaires : Inspection des impôts, agents immobiliers, assureurs, publicistes... ; sans oublier non plus « Le Mot » du Président, « Le Journal paroissial », « L'almanach municipal », le « Rapport annuel des Anciens d'AFN », sans oublier enfin d'inscrire à mon tableau, une ou deux nuits par an, les lettres du Corbeau.

Puis vint un temps

ma porte ne ferma plus, bringuebala à qui mieux mieux, se détacha, chut sur la terre humide et se désagrégea. Le facteur ne passant plus depuis déjà un an, aucune autre personne n'y prêta attention. Et tout au long d'une nouvelle année, je stagnai ; toujours fidèle à ma fonction, bien que désormais sans emploi.

A quelque temps de là

un porteur de fusil, bredouille et désœuvré, m'enfonça ; du canon de son arme ; et tira « pour se distraire-la-joie » ! Sous la décharge, le fond de ma boîte éclata.

Pluie, neige et grêlons

et vent d'hiver aux abois, me fouettèrent, me transirent, me glacèrent. Bientôt, sans s'annoncer, la rouille s'installa. Et rongea ; et ronge ; et rongera.

Or, dans l'état d'abandon

où je me trouvais, voilà que ce à quoi je n'avais guère, voire même, à vrai dire, jamais prêté attention, m'apparut petit à petit, par surprise souvent, se fit jour, fragment après fragment, oui, lentement et dans toute sa diversité : les murmures de l'air chahutant dans les herbes hautes ; le clapotis des gouttes de la pluie rebondissant sur ma carlingue ; la vibration des harmoniques du vent traversant l'arbre, mon voisin ; en plein été, quand le soleil est au zénith, les silences gorgés de silence.

Aussi, de multiples bestioles passant en voisines, en curieuses qui jusqu'alors n'avaient de ma part jamais reçu la moindre attention, des habitants du monde infime vinrent me visiter, m'ouvrirent à de surprenantes rencontres, à des dialogues rares, voire à des confidences. Crissements d'ailes, brefs claquements, gargouillis chahutés de fous rires, timides stridulations, bourdonnements, sifflets familiers des mouches, moucherons, guêpes dorées, abeilles, araignées, fourmis rousses, coccinelles à sept points, chenilles, papillons fous, grillons, perce-oreilles, cochenilles, petits jaunes d'escargots lubriques, sauterelles, mille pattes si souvent égarés, libellules et demoiselles, scarabée récitant la Légende dorée, accompagné par la cigale, tout un été.

 

Et encore ceci

dès lors que je fus réduite à n'être plus qu'un tuyau rouillé, je devins plus attentive à la présence de la lumière : tant aux rayons du soleil qui, à l'aurore, teintent de rose chaque goutte de rosée, qu'à ceux qui transpercent les nuages obscurs, tout gonflés du courroux des Dieux. Je découvris, émerveillée, le scintillement des étoiles, la brillance de la lune argentée, le halo chaud de ses rousseurs. J'appris, enfin, à voir la lueur des vers luisants qui m'entourent, et celle des lucioles.

Lorsque ma boîte

était en parfait état, que je fonctionnais selon la norme établie, transférant mes courriers venus de toutes parts, j'éprouvais le sentiment, la certitude même, que mon monde était ce monde que par courriers interposés je traversais de part en part.

Aujourd'hui que ma forme

s'est allégée, s'est ouverte à tous les courants de l'air, est devenue attentive à la vie qui fourmille, s'est rendue poreuse à la lumière, sans certitudes ni vérités apprises, j'éprouve une sensation inverse, et je me dis, sifflant avec le vent, que c'est le monde qui me traverse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

copyright @ 2006_2018 Tous droits réservés Colette Cerdan